Gérard Pilet est moine zen, proche disciple de Deshimaru et professeurde philosophie. Il est membre de l Association Zen International (AZI) et enseignant au dojo de Paris.
Le zen est zazen, méditation assise.Sonorigine remonte au Bouddha Shakyamuni (V ème siècle avant J.C) qui la pratiqua sous l arbre de l éveil et commen ça à la répandre en Inde sous le nom de Dhyana. En Chine, où elle se diffusa au VI ème siècle de notre ère, elle prit le nom de Chan et au Japon celui de Zen à partir du XIIIè siècle.
Cette méditation assise nest pas une fixation de lesprit sur un thème particulier, mais au contraire la pratique dune non-saisie des pensées et de tout ce qui traverse la conscience à partir dune posture corporelle précise à laquelle on a communément donné le nom de «posture du lotus » : les jambes sont repliées, les pieds posés sur le haut des cuisses et le dos bien droit grâce à une bascule du bassin rendue possible par lutilisation dun coussin. Il sagit, par la concentration sur cette posture et sur la respiration ample et profonde qu elle permet, de ne rester fixé sur rien et des ouvrir ainsi à la nature vide et insondable de lesprit.
Cest aussi par la concentration sur chaque activité du quotidien -travailler, manger, selaver - que la nature éveillée de lesprit va se manifester. Il ny a, dans le zen, aucun clivage entre le matériel et le spirituel, entrela médiation assise pratiquée dans le dojo etles activités du quotidien, lessentiel étantde sinstaller dans une totale disponibilité à l instant présent en ne suivant pas le fluxdes pensées. Ce faisant, l esprit reste fluidele comme le courant de leau et s adapte sansrésistance et sans souffrance aux variations des évènements et des phénomènes.
Telles sont, globalement dessinées, les caractéristiques de ce quon peut appeler «lesprit zen ». Celui-ci a influencé profondément l art et la culture japonaises à travers la cérémonie du thé, likebana ouart floral, le théâtre Nô, les arts martiaux
Ce qui domine dans ces différentes formes dexpression culturelle, c est leur extrême dépouillement : la forme -par son extrêmeépuration -y suggère le vide. L art zen exprime l éveil de l esprit à sa nature originelle, fondamentalement vide.
LOccident moderne néchappe pas à cette influence, non seulement par le biais dexpressions artistiques actuelles telles que la peinture ou la musique, mais aussi et surtout, du fait que cette voie du zen est désormais pratiquée par un nombre croissant dEuropéens qui y trouvent un moyen de réunifier corps et esprit, ainsi qu une source inépuisable de sagesse et de compassion.
Gérard Pilet (AZI).
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Dominique Palmé est interprète depuis 9 ans de maîtres de zen japonais lors desesshin (sessions intensives denseignement et de méditation zen.)
Si quelquun me demandait ce quest le zen, je répondrais quil ny a pas à parler du zen. Il y a à sasseoir. Si tu as envie de tasseoir, tu tassieds, tu essaies de voir dans tonexpérience personnelle ce que cela représente pour toi. Si ça représente quelque chose, tu creuses cette voie, mais il ny a pas à en parler.
Pourtant, l un des moments clés de l enseignement dHozumi Roshi est l entretien individuel. Chaque participant au sesshinren contre le Maître pour un échange de quelques minutes.
Au travers de ces entretiens, je découvre le zen vivant. Quand Hozumi utilise le terme « dynamic zen », je sais exactement ce que ça signifie, parce quil en est lillustration permanente.
Toujours ramener les gens à eux-mêmes. Hozumi ne fait que dire : « Vous nêtes plusdes enfants, vous êtes des adultes. Vous êtes tributaires de votre passé, du passé de vos ancêtres, de blessures et de toute une sériede douleurs ; mais aussi tributaires de toutce qui a pu vous être légué de façon positive. À partir de là, vous êtes libres de direoui, ou de dire non. Vous êtes libre de vousenferrer dans le ressassement et le malheur ou de choisir autre chose. Mais cette liber-té-là, elle se paye. Et son prix, c est la solitude ». Ce que j aime dans ce zen, du moinstel qu Hozumi en parle, et tel quil le vit, cest que non seulement il ny a pas de juge-ment moral, mais il n y a absolument pas deprise en charge non plus. Cest à chacun detrouver sa voie. Cest admirable parce quil ny a jamais de mépris, dindifférence, face à la douleur de lautre. Mais il ny a jamais de complaisance non plus.
Je ne lai jamais pris en flagrant délit de tentation de rapport de force ou de pouvoiravec qui que ce soit. Une grande bienveillance, le sens de la compassion
cemoine ferait un merveilleux analyste. Aider à la réalisation de lêtre par la parole, parle silence ou par une intonation de voix, pour faire cela, il est absolumentextraordinaire d intuition.Il trouvele mot juste au moment juste. Il ale ton de voix plein de cette « neutralité bienveillante » qui fait queles personnes peuvent se poser. Pour certaines, léchange est si fortque jai limpression que ces dixminutes passées avec lui changent complètement leur façon daborder lannée qui suit.
Savoir comment pratiquer le zenen Occident quand on na pas de maître est pour lui une question essentielle. Il dit que, de son point de vue, la véritable avancée en zen ne peut se faire sans le maître. Il considère le contact, même brutal, entre le maître et lélève comme une condition préalable à l éveil. Et en même temps, il a conscience du paradoxe dans lequel certains dentre nous sont placés, Occidentaux qui pratiquons sans maître. Il est là pour redonner un élan en lespace de quelques jours à des gens qui n ont pas de maître. Il dit : « Si vous voulez continuer à pratiquer, continuez ». Il nous laisse face à nos interrogations. Mais nous savons quun tel homme donne tellement que, le jour où il disparaîtra, son enseignement, lui, se perpétuera.
Sesshin et dimanches organisés par Mugen. Tél. 01 46 31 25 99.
Photo : Sesshin organisés en accord avec les Dialogues Inter-Monastiques (DIM).
Rencontre du Roshi Hozumi Gensho avec le père Abbé du Monastère Bellefontaine accueillant le sesshin.

Frédéric Thoma pratique le zen depuis 1995. Pendant l hiver 2001,
il a expérimenté la vie monastique au Japon durant un mois.
Le petit-déjeuner : chaque matin il est composé invariablement de riz, accompagné de chou chinois en saumure (tsukemono) dans lequel on met un peu de sauce de soja et de piment, et dune soupe miso.
Il y a trois bols principaux pour ces trois aliments. Il peut y en avoir un quatrième avec une feuille dalgue compressée pour accompagner le riz.
Au coup de claquoir, on salue et on s agenouille sur son coussin.Tout le repas se passe à genoux. On ne se rend pas compte, mais c est long un repas à genoux
Le repas débute rituellement par l ouverture d un tissu enveloppant les bols et leurdisposition sur la table. Ils doivent être bien alignés, du plus gros vers le plus petit.
Pour le déjeuner, le contenu du quatrième bol peut varier avec salade ou légumes préparés différemment. Et dans un cinquième bol, il ya toujours deux morceaux de radis takuan.Tu as le droit d en manger un pendant lerepas. Le deuxième sert pour la vaisselle. Tu le manges à la fin en buvant, comme un thé, l eau chaude versée dans le plus grand bol avec laquelle tu as rincé les autres.
Quand le repas est terminé, on salue. Et on peut déplier les jambes pour se remettre debout.
Les premières fois, je mettais facilement vingt minutes à me relever. Au bout d un mois, javais toujours mal, mais jarrivais àme relever plus rapidement. Une minute ou deux me suffisaient.
En guise de samu (travail manuel), au bout d un certain temps, on m a fait ratisser le jardin. Pas évident du tout !
Tu passes le râteau dans les graviers, et tuvois tout de suite si tu es bien centré. Ça fait vite des zigzags, car c est très difficile de tracer une ligne droite avec un râteau dans les graviers.
Il y avait une pierre au milieu du jardin, autour de laquelle il fallait faire un cercle. Tu fais les lignes droites, et après les courbes. Quand les lignes droites sont tracées, tu nepeux plus y marcher. Il faut arriver à sauter sur la pierre au milieu, faire le tour de la pierre et resauter sur le bord.
J ai réussi à finir juste à temps, avant que legong de fin du samu ne résonne. Le résultat était un peu tremblé, mais j étais contentd avoir réussi à finir. Quand j ai demandé comment c était, on ne m a pas répondu : pas d évaluation.
« Ratisser le jardin », c est avoir un oscillographe au bout des bras. Si tu n es pas bien centré, ni bien dans ton souffle, si tu n es pas bien présent dans ton râteau, tu ne fais pas deligne droite. Ce n est pas possible.
Quelle que soit la chose que tu fais, l important est que tu habites le geste que tu es entrain de faire. Le résultat importe peu. C est l exercice qui est intéressant. Tu te rendscompte que le résultat dépend de ton « état d être » intérieur. Le résultat te renvoie tout de suite, comme un miroir, ce que tu es à ce moment-là.
International zen center of Japan.
Jotokuji Innkai, Sogabe-cho, Kameoka-shi, Kyoto. Tél.0771-24-0152.
Propos recueillis par Marielle Rick
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