Bernard
Delphine
Bruno
Akemi
Yuichi
Catherine
Gerard
Janie
Margot
Jocelyne
Christine
Sachiko

On sait, depuis le célèbre "Voyage autour de ma chambre" de Xavier de Maistre (1794) qu'il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour éprouver les émotions esthétiques du voyageur. Voilà pourquoi ce nouveau numéro de Jipango a choisi de vous entraîner dans un Japon intérieur. Ce Japon qu'au fil des voyages ou des lectures, on a fini par substituer au "vrai" Japon. Avec un peu d'imagination et beaucoup de talent, certains de ces voyageurs immobiles sont parvenus à recréer, dans leur appartement parisien, une atmosphère, un style qui leur permet, chaque jour, de humer le Japon sans mettre le nez dehors. Visite guidée.

Bernard : "créer le Japon chez soi, c'est d'abord une question d'esprit"
La vocation de Bernard Jeannel, architecte de formation, paysagiste par passion, a été déclenchée par une petite boîte aperçue alors qu'il n'était qu'un enfant. La mystérieuse boîte était en effet un jardin japonais miniature avec lac, pont et pavillon. C'est de cette vision agréable qu'est née sa passion pour l'Asie.
Tout juste diplômé, le jeune architecte part étudier à l'université de Kyoto. Le Professeur Tomoya Masuda l'initie aux règles et aux rituels de l'habitation et des jardins. Auteur de plusieurs livres et articles sur le Japon et les jardins
(1), Bernard Jeannel poursuit ses recherches sur l'architecture et les jardins zen, parallèlement à ses créations de jardins ou de maisons avec cloisons de papier (shojis) et nattes (tatamis). "
Pour moi, créer le Japon chez soi, c'est d'abord une question d'esprit: il faut aimer les décors sobres, reposants, avec des tons naturels. Il faut aussi un sens de la mesure, une envie de beauté, de paix ou de sérénité. En Europe, on parle beaucoup du beau. Au Japon, on parle surtout d'harmonie. Le plus important, c'est la relation des éléments entre eux. C'est comme en musique: on ne peut pas dire que telle note soit plus belle que telle autre. C'est le rapport des notes entre elles qui crée de la beauté. En architecture, c'est un peu la même chose et le jardin vient compléter cette harmonie. Ainsi, la lumière prend toute sa valeur grâce à l'ombre, c'est bien connu. Quand c'est possible, je recommande fortement à mes clients d'aménager une petite pièce japonaise traditionnelle : il suffit de tirer les cloisons et l'on est tout de suite ailleurs. Dans une pièce de style japonais, la décoration doit être sobre. On évite les encombrements d'objets. Ils sont rares et choisis avec le plus grand soin : une jolie calligraphie et un bouquet de fleurs, un joli vase, peuvent compléter l'ensemble. Au Japon, le jardin pénètre dans la maison alors qu'en Europe, c'est plutôt le contraire : la maison s'exporte vers l'extérieur. On aime prendre les meubles de la maison et les installer sur la terrasse ou dans le jardin. Au Japon, on a besoin d'évoquer la nature à l'intérieur de la maison. Bois, rochers, galets, eau, mousse : dans les espaces que j'ai créés, il y a toujours des éléments naturels . Si l'on n'a pas la possibilité de créer un jardin d'intérieur, on peut parfaitement le remplacer par des éléments naturels qui donnent leur valeur symbolique : cailloux, graviers, lanternes, bouquets de branches ou de fleurs… Les petits cailloux blancs, par exemple, symbolisent l'eau dans ce qu'on appelle les jardins secs.
On peut également " créer du Japon chez soi " dans la salle de bains. Les baignoires japonaises n'ont pas la même fonction que les baignoires européennes qui servent à se laver.







chez Chajin (24 rue Pasquier 75008 Paris
Tel. 01 53 30 05 24)

Avant de se glisser dans une baignoire japonaise, on doit s'être préalablement lavé. On prend alors son bain dans une eau brûlante, pour bien se relaxer. L'eau est parfois parfumée avec des herbes ou des branches de pin.
Les baignoires traditionnelles sont en bois. Comme elles sont hors de prix, j'ai fait un essai avec un tonneau, mais il a fallu le raboter et le poncer pour qu'il soit plus agréable au toucher. Je suis toujours à la recherche d'un artisan prêt à se lancer dans l'aventure…"

(1) Jardins japonais en France (Nathan, 1995, en réédition), Le Japon au-delà des montagnes (La Martinière, 1999), Le ginkgo, (Actes Sud, 2000), Le Nôtre (Hazan, 1985)

Delphine : " Le dynamisme et l'éclat sont aussi des composantes de la beauté japonaise "
Attachée de communication, Delphine Higonnet a passé plusieurs années au Japon d'où elle a rapporté des objets d'art et d'artisanat.
"De la douceur et de l'apaisement de l'esthétique zen, mon parcours esthétique japonais a été dévié par la découverte des estampes représentant l'univers du Kabuki. Toute l'extravagance du geste et du costume théâtral y est représentée : vitalité des couleurs naturelles, composition souvent décalée, mais surtout graphisme des motifs contrastés. Le dynanisme et l'éclat sont aussi des composantes de la beauté japonaise.
La richesse du répertoire iconographique au Japon associe la hardiesse de la juxtaposition des dessins géométriques et figuratifs. C'est ce même jeu d'association de couleurs et de dessins (rayures et fleurs) - présent dans le travail contemporain du styliste Takada Kenzo - que j'ai voulu reproduire dans mes choix de motifs textiles .
Quelques pochoirs anciens achetés à Drouot illustrent aussi la variété des compostions décoratives, inspirées de la faune et de la flore.
Puis, une autre influence est survenue au cours d'une recherche pour un mémoire de japonais portant sur la porcelaine d'exportation ancienne du Japon. J'ai en effet été attirée par la





personnalité des " Kakiemon ", porcelaines d'un blanc laiteux dont les décors restreints et décalés sont peints d'émaux vifs et lumineux. Sans reproduire ce modèle intentionnellement, je me rends compte aujourd'hui qu'il constitue la base de ma décoration : un espace majoritairement blanc, ponctué d'éclats de couleurs.
En définitive, dans la décoration de mon appartement, j'ai tenté de mélanger deux aspects contrastés de l'esthétique japonaise :
- d'une part, le " wabi-sabi ", notion qui évoque la patine et la nostalgie des objets anciens, l'apaisement (" yasuragi ") et l'harmonie avec la nature (emploi de matériaux ou de tons naturels)
- d'autre part, la vitalité éclatante de l'art populaire (" doro ningyo ", figurines en terre, colorées, des enfants) ou bourgeois (arts et objets destinés aux marchands en richis et extravagants de l'époque d'Edo)".

Bruno : " J'ai dessiné la hotte de ma cuisine d'après un casque de samouraï "
Artiste plasticien, Bruno utilise la photographie comme moyen principal d'expression. Imprégné de culture japonaise, il est également l'assistant d'un professeur de tir à l'arc.
"J'ai commencé le kyudo, le tir à l'arc japonais, il y a un peu moins de vingt ans. A cette époque, je collectionnais depuis un certain temps déjà, la peinture tibétaine, chinoise et japonaise. Et plus particulièrement les calligraphies, le sumie, le suibokuga, et c'est par la porte de la peinture que je suis entré dans l'immense culture japonaise. Quand je suis arrivé dans cette maison, j'ai simplement eu envie de concevoir une décoration qui me permettrait de mettre en valeur mes collections. Mais peu à peu, c'est l'ensemble qui est devenu très japonais : de la cuisine, jusqu'au jardin. La cuisine est peut-être la pièce la plus aboutie de cette maison jamais finie. C'est en tout cas la plus personnelle. Tout ce qui s'y trouve m'a été inspiré par des choses que j'ai vues au Japon.
J'ai moi-même dessiné des meubles qui ressemblent à ceux qu'on trouve dans la maison japonaise. J'ai aussi puisé dans des livres, car on ne voit plus beaucoup de meubles traditionnels au Japon sauf peut-être dans des temples ou certains palais impériaux. Pour la hotte, par exemple, j'ai pris modèle sur un dessin de casque de samouraï coupé en deux. Les casques anciens sont souvent constitués de plaques de métal maintenues ensemble par un certain nombre de rivets.
Dans les cuisines des temples (ainsi que dans certains restaurants) le foyer (kamado) est en bas. Il est surmonté d'une ouverture ronde sur laquelle on met une grosse marmite dans laquelle on fait chauffer l'eau. J'avais vu dans la villa Katsura, à Kyoto, qu'on pouvait ajouter un foyer supplémentaire pour préparer le thé. J'ai donc fait un mélange des deux.
La clôture du jardin est aussi inspirée du style de la villa Katsura avec des branchages liés entres eux d'une façon spéciale. Trois amis m'ont aidé à la réaliser.
Depuis trois ans, je pratique la cérémonie du thé. J'ai déjà amassé beaucoup d'objets liés à la culture du thé. J'ai même dessiné une estrade spéciale pour pratiquer le thé, la partie inférieure est utilisée pour ranger ces objets du thé. C'est un ami tireur à l'arc et menuisier qui a fabriqué pour moi ce placard en pin du Canada."